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Fraude sociale: Bercy faible avec les forts et fort avec les faibles

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Gabriel Attal a annoncé un plan pour lutter contre la fraude sociale. Celui-ci reprend de vieilles lubies de la droite sur la fraude des allocataires. En revanche, il est beaucoup moins ambitieux quand il s’agit de lutter contre la fraude des entreprises et des professionnels de santé.

Le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, a présenté dans une interview au Parisien mardi 30 mai son nouveau plan de lutte contre la fraude aux cotisations et aux prestations sociales. Un plan sur lequel il y a beaucoup à redire.

En effet, outre la stigmatisation des allocataires ayant des origines maghrébines affichée par Bruno Le Maire sur BFMTV, et qui vise à se mettre la droite et l’extrême droite dans la poche, ce plan présente des objectifs chiffrés peu ambitieux en matière de lutte contre la fraude aux cotisations sociales des entreprises.

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© Mediapart

Pour le comprendre, il faut bien avoir en tête le montant global de la fraude sociale en France. D’une part, il y a la fraude aux cotisations et aux contributions sociales (travail au noir, recours illégal au travail détaché, sous-déclaration du chiffre d’affaires des micro-entrepreneurs, etc.), qui s’élève à environ 8 milliards d’euros, selon Bercy.

Les allocataires fraudent moins 

Et d’autre part, il y a la fraude aux prestations sociales, qui s’élève entre 6,8 et 7,5 milliards d’euros par an si l’on recoupe les chiffres de Bercy avec ceux donnés dans un rapport récent de la Cour des comptes. Ce dernier montant se décompose de la sorte : 2,8 milliards d’euros de fraude aux caisses des allocations familiales, 200 millions aux prestations retraite, et entre 3,8 et 4,5 milliards de fraude à l’assurance-maladie. Tout cela additionné, on tombe sur une fraude sociale totale d’environ 15 milliards d’euros par an en France.

Premier point intéressant : les trois quarts de cette fraude sont de la responsabilité des entreprises (la fraude aux cotisations) et des professionnels de santé. Ces derniers sont en effet à l’initiative, selon diverses estimations, de 70 % à 80 % de la fraude aux seules prestations d’assurance-maladie « par surfacturation ou par facturation d’actes fictifs », a concédé Gabriel Attal dans son interview au Parisien.

Illustration 2
Le ministre délégué chargé des comptes publics veut lutter contre la fraude sociale. © Alain Jocard @AFP

Autrement dit, les allocataires qui perçoivent les prestations sociales, pourtant régulièrement stigmatisés sur les plateaux télé et par les partis politiques de droite, ne sont responsables que d’environ un quart de la fraude sociale en France, soit 4 milliards d’euros par an.

Double discours sur l’ubérisation

Durant le précédent quinquennat, l’administration aurait redressé ou évité pour 1,4 milliard d’euros de fraude sociale par an en moyenne, selon Gabriel Attal. Pour ce second quinquennat, le ministre veut aller plus loin. Concernant la lutte contre la fraude aux cotisations, il a annoncé que « le nombre d’actions de contrôle conduites auprès des entreprises doublera d’ici 2027 », grâce notamment au renforcement de « de 60 % les effectifs de l’Urssaf, soit 240 équivalents temps plein ».

Seront ciblés la fraude aux travailleurs détachés, le développement « de sociétés éphémères qui organisent leur insolvabilité pour échapper au recouvrement social et fiscal », et enfin la sous-déclaration du chiffre d’affaires des micro-entreprises.

« Je ne veux pas d’ubérisation des droits sociaux ! », a lancé Gabriel Attal au Parisien. Une soudaine prise de conscience des dégâts causés par l’ubérisation qui prête à sourire. En effet, depuis six ans, ce gouvernement ne fait que se gargariser d’avoir flexibilisé le marché du travail et réduit le niveau de cotisations sociales payées par les entreprises.

Le scandale des « Uber Files » révélé à l’été dernier par Le Monde a en outre bien mis en avant le rôle proactif d’Emmanuel Macron dans le développement d’Uber dans l’Hexagone. Et c’est toujours le chef de l’État qui bloque au niveau européen au sujet de la reconnaissance de la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. 

« La France propose une dérogation à la présomption de salariat assez large qui poserait un problème majeur car elle viderait d’une certaine manière la proposition européenne de son sens », alertait ainsi le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, lors de son audition le 11 mai par la commission « Uber Files » à l’Assemblée nationale. En annonçant qu’il comptait lutter contre « l’ubérisation des droits sociaux », Gabriel Attal est donc dans un double discours contradictoire.

Aussi, il faut dire que les objectifs chiffrés de son plan en matière de lutte contre la fraude aux cotisations sociales restent modestes. Pour ce qui concerne les redressements de cotisations et contributions sociales, son objectif est de passer de 700 millions d’euros par an en moyenne durant le premier quinquennat, à environ 1 milliard d’euros par an durant le second quinquennat. Rapporté aux 8 milliards de fraude annuelle aux cotisations, c’est peu. Qu’ils se rassurent : les chefs d’entreprise experts en fraude sociale pourront toujours dormir sur leurs deux oreilles.

Sur la fraude aux allocations, des gages à la droite 

Autre point important où le gouvernement pourrait aller plus loin : la fraude aux prestations d’assurance-maladie. Pour la réduire, Gabriel Attal a expliqué qu’il allait rehausser les pénalités pour les professionnels de santé qui surfacturent leurs actes. Mais aussi que l’administration proposera aux personnes soignées dans les centres dentaires ou ophtalmologiques d’échanger par SMS sur la liste des soins facturés à l’assurance-maladie, afin d’identifier les incohérences.

In fine, ce sont 200 millions d’euros supplémentaires par an que le gouvernement prévoit de détecter, soit 500 millions d’euros en tout. Sur entre 3,8 et 4,5 milliards d’euros de fraude aux prestations maladies, c’est, là encore, peu. Il ne faudrait pas trop brusquer le lobby des médecins… 

À l’inverse, concernant la fraude des bénéficiaires des caisses d’allocations familiales (CAF) et de retraite, le ministre des comptes publics compte davantage serrer la vis. Il propose des mesures qui répondent à de vieilles revendications de la droite en promettant la fusion des cartes d’identité et des cartes Vitale – un dispositif qui a de fortes chances d’être rejeté par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) – ainsi que l’obligation de séjourner neuf mois par an en France (et non six) pour toucher les allocations sociales.

Côté chiffres, on remarque aussi que les objectifs d’économies fixés par Gabriel Attal sur la lutte contre la fraude des allocataires sont plus importants, en proportion, que pour la fraude aux cotisations et aux prestations maladies. En effet, sur les 3 milliards de fraude aux caisses d’allocations familiales et de retraite chaque année, le gouvernement compte dénicher en moyenne 300 millions d’euros de plus chaque année que lors du précédent quinquennat, selon nos calculs. 

Changement de discours 

Il est aussi intéressant de noter que dans le discours de l’exécutif, la mise en avant des économies que devraient générer les contrôles accrus (et donc les sanctions plus fortes) a pris la place d’une promesse de campagne : le versement automatique des aides sociales, annoncé dans une conférence de presse en mars 2022 par le président-candidat. Promesse qui avait déjà été faite en filigrane durant tout le premier quinquennat, sans jamais aboutir.

Emmanuel Macron avait assuré que ce versement automatique concernerait « le RSA, les APL et la plupart des allocations de solidarité comme les allocations familiales ». Mais, pour l’heure, la mise en place concrète de ces annonces semble devoir se limiter à la création de déclarations préremplies, charge toujours aux allocataires potentiels de penser à les utiliser pour réclamer les aides qui leur sont dues.

La discrète mise de côté de ce sujet n’est pas anodine : le « non-recours » aux aides sociales, qualifié par la Drees, l’institut statistique du ministère de la santé et des solidarités, de « phénomène d’ampleur qui peine à susciter le débat », permet pour l’heure à l’État d’économiser 3 milliards d’euros par an ! Mais c’est donc le contrôle plus dur des allocataires qui est désormais mis en avant.

Et la fraude fiscale ? 

Du reste, pour Gabriel Attal, « l’ambition » du gouvernement « ne se limite pas aux chiffres : en luttant contre la fraude, on reprend le contrôle de notre modèle social, de ce qu’on donne et à qui on le donne », a-t-il lancé au Parisien. Une justification qui, venant d’un gouvernement aussi proche de ses sous, reste difficile à croire. On ne saurait trop lui conseiller de se pencher davantage sur la lutte contre la fraude fiscale, qui permettrait de renflouer bien plus significativement les comptes de l’État.

D’après diverses estimations, la fraude fiscale s’établit en France entre 80 et 100 milliards d’euros par an. À chaque fraudeur fiscal détecté, c’est beaucoup plus d’argent qui pourrait rentrer dans les caisses de l’État que pour la fraude sociale. Sur France Info, le porte-parole d’Attac Vincent Drezet expliquait ainsi que « lorsqu’un fraudeur aux prestations sociales va au pénal, c’est environ 6 000 euros. Lorsqu’un fraudeur va au pénal pour fraude fiscale, c’est plus de 100 000 euros ».

Mais s’attaquer profondément à ce sujet de l’évasion fiscale n’est pas à l’ordre du jour de l’exécutif, celui qui a réduit nettement les impôts depuis 2018 et ne compte pas infléchir son discours vis-à-vis du grand capital. S’il a bien présenté au début du mois une batterie de mesures, elles s’avèrent largement insuffisantes, ne s’attaquant pas aux gros patrimoines, ni aux grandes entreprises de façon systémique.

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Niquarl
322 days ago
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Pour le comprendre, il faut bien avoir en tête le montant global de la fraude sociale en France. D’une part, il y a la fraude aux cotisations et aux contributions sociales (travail au noir, recours illégal au travail détaché, sous-déclaration du chiffre d’affaires des micro-entrepreneurs, etc.), qui s’élève à environ 8 milliards d’euros, selon Bercy.
Et d’autre part, il y a la fraude aux prestations sociales, qui s’élève entre 6,8 et 7,5 milliards d’euros par an si l’on recoupe les chiffres de Bercy avec ceux donnés dans un rapport récent de la Cour des comptes. Ce dernier montant se décompose de la sorte : 2,8 milliards d’euros de fraude aux caisses des allocations familiales, 200 millions aux prestations retraite, et entre 3,8 et 4,5 milliards de fraude à l’assurance-maladie. Tout cela additionné, on tombe sur une fraude sociale totale d’environ 15 milliards d’euros par an en France.

Premier point intéressant : les trois quarts de cette fraude sont de la responsabilité des entreprises (la fraude aux cotisations) et des professionnels de santé. Ces derniers sont en effet à l’initiative, selon diverses estimations, de 70 % à 80 % de la fraude aux seules prestations d’assurance-maladie « par surfacturation ou par facturation d’actes fictifs », a concédé Gabriel Attal dans son interview au Parisien.
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Effondrement du vivant : l'État absent de son propre procès

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L'audience du procès « Justice pour le vivant », porté par cinq ONG contre les défaillances de l'État dans la protection de la biodiversité, a eu lieu le 1ᵉʳ juin. Les représentants du gouvernement ne s'y sont même pas déplacés.
Paris, reportage
Il était presque 14 heures quand les membres de Pollinis, Notre Affaire à Tous, Biodiversité sous nos pieds, Anper-Tos et l'Aspas, mobilisés dans le cadre du procès « Justice pour le Vivant », ont peu à peu rempli la salle du tribunal administratif de Paris. Un nombre (...)

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Niquarl
322 days ago
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Parlant...
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In South Africa, Brazil’s foreign minister greets Lavrov: “I’ve missed you”

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During a gathering of foreign ministers from BRICS countries, Brazil’s Mauro Vieira on Friday held a bilateral meeting with his Russian counterpart Sergey Lavrov in Cape Town. The pair discussed negotiations to end the war in Ukraine. 

The Brazilian government, notably President Luiz Inácio Lula da Silva, is being pulled in different directions regarding the conflict in Eastern Europe. After meeting with the Finnish president in Brasília, Lula “reiterated Brazil’s position defending Ukraine’s territorial integrity and condemning the invasion,” apparently testing out a more pro-Ukraine stance on the war.

On several occasions this year, Lula has echoed Russian arguments vis-a-vis the war in Ukraine, which has attracted criticism at home and abroad.

In South Africa on Friday afternoon, Mr. Vieira quipped that he had “missed” Mr. Lavrov. The pair met in mid-April, when Mr. Lavrov visited Brazil, Venezuela, Cuba, and Nicaragua. He expressed his gratitude to the Brazilian government for its “contribution to the solution” of the Ukraine war. 

BRICS foreign ministers have been gathered in Cape Town this week, where they have faced persistent questions about whether Russian President Vladimir Putin will be able to attend the planned BRICS leaders summit in Johannesburg in August.

The International Criminal Court (ICC) in The Hague has issued an arrest warrant against Mr. Putin. As a member of the ICC, South Africa would be obliged to apprehend the Russian president if he were to attend the summit.

The post In South Africa, Brazil’s foreign minister greets Lavrov: “I’ve missed you” appeared first on The Brazilian Report.

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Niquarl
322 days ago
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Brazil keeping their relations with Russia, despite the War in Ukraine.
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Education : le SPEG milite pour l’affectation locale des néo-titulaires Guadeloupéens

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Le SPEG interpelle les parlementaires sur la situation des professeurs et des CPE néo-titulaires. Beaucoup de ces derniers sont affectés dans d’autres académies et sont donc obligés de quitter la Guadeloupe, alors que des postes sont en souffrance localement, dans leur discipline.

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Niquarl
592 days ago
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Le risque c'est un concours par académie bien-sûr mais déjà si on pouvais prioritiser les néo-titulaires sur les postes libres (avant l'affectation des contractuels).
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Élections professionnelles des TPE dans les médias : cinq millions de travailleurs passent (encore) à la trappe

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Après la faillite qu'avait constitué le traitement médiatique des élections professionnelles dans les TPE lors du scrutin de 2016/2017, nous avons voulu vérifier si le « cru » 2021 (22 mars – 6 avril) avait été de meilleure facture. A fortiori dans le contexte de la pandémie, qui mit ces travailleurs à rude épreuve. Suspense : pas vraiment.

Dans le contexte de la crise sanitaire, et comme lors du scrutin précédent, un consensus se dégage pour reconnaître que l'enjeu est d'importance. Dans La Croix (22/03), on lit que les élections professionnelles dans les TPE [1] « sont cruciales pour l'avenir du dialogue social ». Sur RTL (22/03) on entend que « l'enjeu est grand. C'est un enjeu d'autant plus grand que depuis un an, entre les confinements, le télétravail et le chômage partiel, la crise sanitaire a fait bouger les lignes du droit du travail, et notamment, dans les TPE ». Et neuf jours plus tard sur la même station : « Les enjeux sont majeurs sur le monde qui nous attend » (31/03).

Des enjeux majeurs… mais des médias majoritairement absents

Entre le 1er mars et le 7 avril, lendemain de la clôture du scrutin, les recherches effectuées à partir des moteurs de recherche des sites internet de plus de 50 médias (voir la liste en annexe 1) mettent une nouvelle fois en évidence un désintérêt total pour ce scrutin, et par ricochet, pour les conditions de travail des salariés concernés. Précisons d'emblée que le naufrage informatif que nous avons observé ne saurait être imputé à parts égales à l'ensemble du panel examiné, tant leurs moyens et leur nature sont différents. Pour cette raison, on s'intéressera davantage au traitement médiatique des grandes chaînes et radios publiques et privées, ayant une large audience, parmi laquelle un public populaire non négligeable : TF1, M6, France 2, France 3, France Info, France Inter, Europe 1, RMC et RTL.

Mais, une fois n'est pas coutume, commençons tout de même par signaler le seul média qui tire son épingle du jeu : il s'agit de France Bleu. La station se distingue par un effort significatif dans trois de ses éditions locales, avec des entretiens entièrement consacrés à la question :

- 7min42 avec le secrétaire départemental de la CGT Jean-Michel Gourgaud sur Radio Bleu Saint Etienne Loire (22/03) ;
- 5min23 avec l'avocate en droit du travail Laure Germain-Phion (23/03) sur Radio Bleu Isère ;
- 3min57 avec Sylvie Macé, directrice régionale adjointe de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) sur Radio Bleu Normandie (1/04) [2].

La combinaison des trois intervenants, mêlant à la fois des explications circonstanciées sur les enjeux du scrutin et leur mode d'emploi permet aux auditeurs de bien les comprendre.

Un scrutin marginalisé dans les médias dominants

Un contraste saisissant avec le désintérêt que nous constatons sur les autres radios. Lorsqu'on cumule la durée des sujets/chroniques accordée à ces élections professionnelles par les principales stations (France Inter, France Info, RMC, RTL et Europe 1), on obtient un résultat édifiant : 12 minutes et 36 secondes à elles cinq et en 38 jours (voir en annexe 2).

Les grandes interviews ne sont pas des rendez-vous plus propices au traitement du sujet. Illustration exemplaire lors des entretiens avec le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, par les deux radios les plus écoutées de France, France Inter (17/03) et RTL (21/03). En 23 minutes sur France Inter, Nicolas Demorand et Léa Salamé évitent tout simplement le sujet. En 25 minutes au « Grand jury RTL-LCI-Le Figaro », le présentateur Benjamin Sportouch accorde à ces élections professionnelles... 17 secondes. Il s'agit alors du lancement – pourtant prometteur – de la conversation :

Laurent Berger, demain y a des élections syndicales dans les TPE, les très petites entreprises dans lesquelles les syndicats sont très peu présents. Et d'ailleurs, les centrales syndicales ont du mal à se faire entendre globalement dans cette période où l'impératif sanitaire semble tout écraser. Le télétravail ne s'impose pas partout, par exemple, est-ce possible d'ailleurs. Nous en parlerons, nous allons y revenir.

Mais de retour il n'y eut point…

Recevant lui aussi Laurent Berger sur France 2 (« Les 4 vérités », 1/04), Jeff Wittenberg se montre le plus « intéressé » en réservant à la fin de l'interview... une petite minute au sujet – sur les 8min30 que dure l'émission.

Si certains médias se contentent donc du minium syndical, d'autres font illusion avec un traitement quantitativement riche mais qualitativement pauvre. Ouest France, par exemple, est crédité de 17 articles sur la période. Mais cette abondance dissimule mal le travail journalistique quasi inexistant réalisé, qui se limite à résumer – succinctement – des éléments communiqués par les syndicats (16 articles) ou par le ministère du Travail (un article).

Quant à la majorité des médias dominants, ils n'y consacrent en réalité pas une ligne (voir en annexe 3). Les chaînes d'info ont fait l'impasse sur le sujet, tout comme les principaux hebdomadaires du pays (Le Point, Marianne, L'Express, Le JDD, L'Obs, Valeurs actuelles, Le 1). Il en est allé de même du côté des principaux magazines féminins, ayant pourtant (pour trois d'entre eux) recueilli récemment l'agrément de « publication d'information politique et générale ». À ce titre, ils auraient pu profiter des élections professionnelles pour mettre la lumière sur les travailleuses des TPE (voir en annexe 4). Dans les médias audiovisuels plus généralement, aucun des très nombreux magazines d'information ou de débats ne s'est penché sur ce scrutin.

Travailleurs invisibles, enquête sociale en miettes

Au-delà de l'aspect quantitatif, le principal désastre demeure l'absence de reportages mettant en lumière les conditions de travail de ces travailleurs, dont la parole est de nouveau rendue inaudible : sur France Inter et RMC (17/03 et 22/03), quelques secondes seulement sont ménagées à trois salariés d'une pharmacie parisienne ou d'une salle de sport à Chaumont-sur-Marne, à l'occasion de la visite dans ce département du secrétaire général de Force ouvrière, Yves Veyrier. Des reportages à la qualité informative quasi inexistante, tant ne sont ni évoquées les conditions de travail des salariés en question, ni explicité le rôle des futurs élus ou les éventuelles conséquences du résultat du scrutin sur la représentativité des syndicats dans ces TPE.

Il est pour le moins regrettable – quoique conforme à l'intérêt des chefferies éditoriales pour la question sociale – que la dégradation des conditions de vie et de travail engendrée par la Covid 19 n'ait eu aucune influence (à la hausse) sur le niveau de la couverture médiatique.

S'il en est ainsi dans une situation aussi exceptionnelle, pourtant a priori propice à la sortie de l'anonymat de ces travailleurs, c'est que l'absence de journalisme d'enquête sociale a des causes structurelles profondes qui le rendent de moins en moins possible (entre autres) : les réductions massives d'effectifs depuis plusieurs années dans les rédactions, le coût beaucoup plus élevé qu'il nécessite en comparaison d'une émission de plateau ou de la production à la chaîne d'articles de remplissage, son apprentissage négligé par les écoles de journalisme, préférant ajuster leurs formations aux « réalités du marché du travail » [3]

Les deux premiers aspects sont les deux jambes d'une loi d'airain financière redoutable, qui explique sans doute en grande partie que L'Humanité ait livré cette année une copie aussi insipide que ses confrères, bien loin du travail de qualité que nous avions salué lors du scrutin précédent [4].

Pour autant, la santé financière florissante d'un média n'est pas la garantie qu'il soit plus prolixe sur le sujet des élections professionnelles dans les TPE. Ainsi de Mediapart [5], où le traitement des élections reste cette année aussi minimaliste que les fois précédentes – et ce depuis la naissance du site d'information.

Dès lors, d'autres variables entrent certainement en ligne de compte de cette absence de couverture médiatique. Pensons notamment au fossé sociologique qui sépare les journalistes, issus très majoritairement des classes moyennes/supérieures (comprises les professions intellectuelles), et plus diplômés [6] de la plupart des salariés des TPE, plutôt issus des milieux ouvriers, employés ou professions intermédiaires [7]. Un fossé qui rend les premiers souvent inaptes à percevoir/comprendre les conditions de vie et de travail des seconds.

Il est évident que l'extrême faiblesse de la participation – encore en baisse par rapport au dernier scrutin [8] – ne saurait avoir pour origine première (ou même dominante) l'indigence de la couverture médiatique. En revanche, aucun des médias observés n'ébauche le moindre début d'autocritique à propos d'un tel désert. Libération (22/03) parle d'« un scrutin mal connu » tandis que Jeff Wittenberg (France 2, 1/04) déplore le fait que « les salariés ne savent pas, ils ne sont pas informés qu'il y a ces élections professionnelles ». Au Figaro encore, on débute un article en affirmant que les élections « ne passionnent pas les foules » (22/03). Mais le rôle des médias dans cette affaire n'est pas spécifiquement pointé du doigt, qui, scrutin après scrutin, invisibilisent des enjeux concernant pourtant près de cinq millions de travailleurs.

L'autocritique n'étant pas le sport favori des médias – loin s'en faut – le fiasco informatif est aussi identique à celui ayant accompagné les élections prud'homales de décembre 2008, les élections professionnelles dans la fonction publique en 2014 et en 2018, et, enfin, les scrutins dans les TPE en 2012 et en 2016.

***

Dans l'article du 9 mars 2017 consacré aux précédentes élections dans les TPE, nous concluions : « Ce désintérêt absolu à l'encontre des catégories populaires nous oblige à nous rappeler que le combat pour qu'un véritable pluralisme devienne réalité dans les médias ne se résume pas à garantir l'expression d'opinions politiques et économiques diversifiées, mais bien, et tout aussi prioritairement, à favoriser celle de la très grande majorité de la population qui en est privée depuis des années. » Un peu plus de quatre ans plus tard, la lutte pour cette revendication démocratique demeure toujours aussi nécessaire.

Denis Pérais

Annexe 1 : La liste des médias observés entre le 1er mars et le 7 avril

BFM-TV, CNews, Franceinfo, France Bleu, France 2, France 3, France 5, LCI, M6, TF1, Europe 1, France Inter, Radio Classique, RMC, RTL, Sud Radio, La Croix, Le Figaro, L'Humanité, Le Monde, Le Parisien/Aujourd'hui en France, Les Échos, Libération, L'Opinion, quelques titres de la presse quotidienne régionale, Le Journal du dimanche, Challenges, L'Express, L'Obs, Le 1, Le Point, Marianne, Paris Match, Politis, Valeurs actuelles, Causeur, Le 1, Regards, Capital, Le Monde diplomatique, Elle, Madame Figaro, Marie Claire, Vanity Fair, ainsi que les médias en ligne Atlantico, Brut, Mediapart, Rue 89, Slate et La Tribune. Les versions papier de Elle et Marie Claire ont également été examinées.

Annexe 2 : Les médias qui en « parlent »

Un décompte d'articles plus que maigrichon. De la presse…

* La Montagne (5) ; La Voix du Nord (4) ; La Provence (3) ; La Croix, Le Figaro, Les Échos, L'Humanité, Libération, Paris Normandie, et France 3 (en ligne sur les sites de ses décrochages régionaux Corse Via Stella) (2) ; Le Monde, L'Opinion, Politis, La Tribune, Challenges, Mediapart (1) [9].

… À la radio :

* France Inter (17/03) et RMC (22/03) [10] proposent deux minuscules reportages de « terrain », d'une durée respective d'1min37 et 1min24.

* Europe 1 concède une chronique d'Olivier Samain d'1min18 dans journal de 7h (« Europe matin week-end », 27/03).

* Du côté de France Info, l'investissement est tout aussi mesuré : on relève une chronique matinale à propos des élections professionnelles (« C'est mon boulot », 22/03) d'une durée de 2min30.

* RTL compte quant à elle deux interventions. Une chronique d'Anaïs Bouissou de 2min25 (« RTL Matin », 22/03) et l'éditorial économique « L'éco and You » de 3min05 (« RTL Petit Matin », 31/03).

* Quant à l'offre numérique « Outre-mer La 1ère » créée par France Télévisions, elle n'est pas plus « loquace » : deux articles ont été publiés les 24 mars et 6 avril.

Annexe 3 : Les médias qui n'en parlent pas sont les plus nombreux

Pas de reportage ou chronique à signaler sur BFM-TV, CNews, France 2, France 3, France 5, Franceinfo, LCI, M6, TF1, France Culture, Radio Classique et Sud Radio ; aucun article retrouvé en ligne pour Le Parisien-Aujourd'hui en France, L'Express, Le Figaro magazine, Le Journal du dimanche, Le Point, Le 1, L'Obs, Marianne, Paris Match et Valeurs actuelles, Capital, Causeur, Le Monde diplomatique [11], La Vie, sur les sites Atlantico, Brut, Huffpost, Rue 89 et Slate, ainsi que dans les magazines de presse féminine, Elle, Madame Figaro, Marie Claire et Vanity Fair.

Dans l'ensemble des médias examinés, nous n'avons pas trouvé non plus de dossiers, podcasts ou de vidéos en ligne spécifiquement réalisés à cette occasion.

Annexe 4 : Le flop retentissant des magazines féminins

Parce que trois d'entre eux (Elle, Marie Claire et Vanity Fair) ont reçu le titre fort convoité de publication d'information politique et générale (« IPG ») [12], une prestation sur le sujet était espérée ! Mais c'est un zéro pointé.

Ces magazines, qui claironnent depuis des années que l'émancipation des femmes est leur boussole, ont à nouveau raté l'occasion des élections professionnelles pour donner la parole aux travailleuses oubliées des TPE. Une abondante documentation existe pourtant à leur sujet, montrant combien, plus encore que dans de plus grandes entreprises, elles subissent de plein fouet les inégalités : temps partiel subi beaucoup plus souvent que par les hommes, rémunération plus faible, surreprésentation dans les emplois les plus faiblement rétribués, accès à la formation plus problématique, etc. On pense notamment aux employées travaillant dans les services à la personne, et travaillant pour les CSP+ constituant le « cœur de cible » du lectorat des magazines féminins…


[1] Soit dans les entreprises de moins de 11 salariés (y compris en contrat d'apprentissage) ayant 16 ans révolus à la date d'ouverture du scrutin, mais aussi dans les très petites associations (TPA) et auprès de tout particulier employeur.

[2] Ces DREETS qui existent depuis le 1er avril 2021 regroupent les missions exercées jusqu'alors au niveau régional par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et les services déconcentrés chargés de la cohésion sociale.

[3] À ce sujet, lire notre entretien avec les des deux réalisateurs du documentaire « En Formation », tourné au CFJ. Leur travail vient rappeler la persistance de la relégation du journalisme d'investigation.

[4] La situation catastrophique de L'Humanité s'était traduite en 2019 par la suppression de « 41 postes (sur un total de 157, hors pigistes) [...], dont ceux de 28 journalistes et de 13 cadres ou employés. » (SNJ)

[5] Au 31 décembre 2020, Mediapart fait état d'« un résultat net de 4 millions d'euros après impôt et participation versée aux salarié·e·s » et d'une progression continue (depuis sa création) de ses effectifs, avec « l'arrivée de 26 nouveaux collaborateurs durant l'année, portant à 118 salarié·e·s [dont 69 journalistes] auxquels s'ajoutent 175 pigistes ».

[6] Cette propriété sociale et scolaire se retrouve parmi les élèves des écoles de journalisme, même si parmi elles, un clivage s'opère selon le prestige des établissements. À ce sujet, voir l'ouvrage Les Diplômés du journalisme. Sociologie générale de destins (Presses universitaires de Rennes, 2019) de Géraud Lafarge (sociologue, chercheur au Centre nantais de sociologie, et enseignant dans les universités de Rennes 1 et Nantes. Voir également l'article « Aux origines sociales et scolaires des journalistes » du même auteur, Hypothèses, 2 mars 2020.

[7] Le procès-verbal des opérations électorales établi par le ministère du Travail révèle que le « collège cadre » ne comptait que 532 337 inscrits (10, 89 % du total) contre 4 355 959 inscrits au « collège non cadre » (89, 11%).

[8] 5,44 % en 2021 contre 7,35 % lors du scrutin précédent.

[9] Politis glisse seulement un entrefilet de cinq lignes dans son « Écho de la semaine » (17/03). Challenges (26/03) et Mediapart (11/03) – le dernier se contentant de reprendre une dépêche AFP – ciblent la problématique de l'inscription des collaborateurs des parlementaires en tant qu'électeurs au scrutin.

[10] Dans le journal de 7h30 pour le premier et dans l'émission « Apolline matin » pour le second.

[11] Parce que ce mensuel publie régulièrement des enquêtes sur le monde du travail, l'absence d'article spécifique sur ces élections doit être relativisé.

[12] Pour Marie Claire et Vanity Fair, cette information a été rapportée par CBNews (15/02). Quant à Elle, c'est l'éditorial du numéro du 9 avril qui apporte la bonne nouvelle.

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Niquarl
1040 days ago
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Eric Jalton devrait bientôt être fixé sur les suites judiciaires de sa garde à vue

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Le Parquet compte faire savoir sa décision dans l'après-midi après l'audition d'Eric Jalton, et de deux entrepreneurs, impliqués dans une enquête portant sur le financement de la campagne électorale du maire des Abymes en 2014. 



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Niquarl
1049 days ago
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Y'en a vraiment beaucoup des politiques en Guadeloupe qui se prennent des affaires judiciaires...
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